vendredi, mars 24, 2006

IV. l. 33-43 : privé de soi, en lui-même, l’esprit n’est qu’un théâtre sans lieu de perceptions séparées et fugaces.

But setting aside some metaphysicians of this kind, I may venture to affirm of the rest of mankind, that they are nothing but a bundle or collection of different perceptions, which succeed each other with an inconceivable rapidity, and are in a perpetual flux and movement. Our eyes cannot turn in their sockets without varying our perceptions. Our thought is still more variable than our sight; and all our other senses and faculties contribute to this change; nor is there any single power of the soul, which remains unalterably the same, perhaps for one moment. The mind is a kind of theatre, where several perceptions successively make their appearance; pass, re-pass, glide away, and mingle in an infinite variety of postures and situations. There is properly no simplicity in it at one time, nor identity in different; whatever natural propension we may have to imagine that simplicity and identity. The comparison of the theatre must not mislead us. They are the successive perceptions only, that constitute the mind; nor have we the most distant notion of the place, where these scenes are represented, or of the materials, of which it is compos'd.

L’essentiel de ce qu’il y a à dire sur cette dernière partie du texte a déjà été abordé dans les parties précédentes : la pluralité radicale de l’esprit ; l’absence d’identité entre les perceptions, la propension à imaginer simplicité et identité.
La seule nouveauté ici, c’est la métaphore du théâtre de ces perceptions fugaces. L’originalité en fait n’est pas tant la métaphore elle-même, mais plutôt dans ce que celle-ci a d’inadéquat : « une sorte de théâtre ». Le théâtre symbolise classiquement le lieu de la représentation, à la fois en tant que quelque chose se joue, et que cette chose se joue devant un spectateur, à distance. Quand Hume dit : “They are the successive perceptions only, that constitute the mind; nor have we the most distant notion of the place, where these scenes are represented, or of the materials, of which it is composed”. Il indique bien qu’il n’est pas possible de séparer l’esprit des perceptions successives qui le constituent. Autrement dit, il n’est pas possible de regarder subrepticement l’esprit comme un spectateur de représentations devant ses yeux. Ceci impose de comprendre l’usage du mot « represented » après, simplement au sens d’un jeu, comme lorsqu’on dit au théâtre qu’une pièce est en cours de représentation. On ne peut donc non plus faire de ce théâtre un lieu identifiable, comme s’il y avait encore une séparation entre la scène et le spectateur ; on ne peut non plus déterminer les matériaux qui composent ce théâtre, c’est-à-dire par exemple faire de nos perceptions des images des corps. De manière générale, la déconstruction de la métaphore du théâtre a pour but d’éviter de faire des perceptions de l’esprit des représentations.
Si les perceptions étaient originellement des représentations :
· D’une part, elles seraient dès le départ là pour autre chose qu’elles-mêmes (il y aurait par exemple différence entre l’impression de ce bleu-ci et ce bleu-ci), ce qui impliquerait qu’elles soient ontologiquement en relation avec autre chose. On sait que pour Hume l’impression est ce qu’il y a de plus originaire dans l’esprit. Ce n’est qu’une construction ultérieure qui fait de l’impression de ce bleu-ci la représentation d’un corps bleu à l’extérieur de moi. Dans le cas de l’idée, c’est plus complexe, mais il est essentiel pour la doctrine de Hume que l’idée ne soit pas définie exactement comme représentation de l’impression, mais comme copie. Si les perceptions étaient représentations, on supposerait dans l’esprit l’existence de relations réelles.
· D’autre part, et la chose est en fait le corrélat de la première, les perceptions comme représentations seraient des représentations pour un spectateur distinct, donc pour un sujet séparé de ses représentations. On risquerait précisément encore une fois en suivant cette métaphore classique de l’esprit comme théâtre de ramener l’esprit à un sujet.



Le choix de la métaphore est donc stratégique, et sa déconstruction instructive. Mais elle est aussi l’indice de l’extrême difficulté qu’il y a à penser le concept humien de l’esprit indépendamment de tout soi. Si Hume parvient à donner une critique définitive de l’idée d’un moi substantiel, il n’est pas évident qu’il parvienne complètement à se passer du soi pour parvenir à penser l’esprit. Il n’arrive en fait à présenter l’esprit en l’absence de tout soi et de toute représentation qu’en ayant recours à tout un ensemble de métaphores qu’il faut aussitôt déconstruire : le théâtre sans lieu de l’esprit; l’idée comme copie de l’impression…