vendredi, mars 24, 2006

Le labyrinthe de l’identité personnelle dans l’œuvre de Hume.

Le texte étudié en classe est un extrait de la dernière section de la 4ème partie (« Du système sceptique et autres systèmes philosophiques ») du Livre I du Traité de la nature humaine de D. Hume, livre consacré à l’étude de l’entendement humain. Il a manifestement un statut particulier dans l’œuvre de Hume, dans la mesure où la question de l’identité personnelle disparaîtra de l’Enquête sur l’entendement, et où le philosophe écossais reconnaîtra à la fois le caractère labyrinthique de la question et insatisfaisant de sa réponse dans l’Appendice qu’il adjoint au Traité :

“I had entertain’d some hopes, that however deficient our theory of the intellectual world might be, it would be free from those contradictions, and absurdities, which seem to attend every explication, that human reason can give of the material world. But upon a more strict review of the section concerning personal identity, I find myself involv’d in such a labyrinth, that, I must confess, I neither know how to correct my former opinions, nor how to render them consistent” (THN, Appendix, par. 10).

Cet aveu du philosophe indique assez le caractère aporétique de sa réponse. Sur l’essentiel, à savoir la thèse suivant laquelle nous n’avons pas en nous d’idée d’un moi substantiel que nous pourrions dériver d’une impression, Hume ne reviendra pas. Il n’est pas d’impression de laquelle nous pourrions dériver l’idée de soi. Simultanément, cette conclusion ne clôt pas le problème de l’identité personnelle pour Hume, dans la mesure où pour lui, quelque chose comme le concept d’un soi sera néanmoins nécessaire pour penser le feeling de la connexion de nos perceptions, ou encore pour expliquer le passage de ce que Deleuze appelle la « psychologie de l’esprit », où ce dernier n’est qu’une succession de perceptions atomiques, séparées, sans connexion, à une « psychologie des affections de l’esprit », où l’esprit est affecté de sorte qu’il devient un sujet, est « assujetti ». C’est autour de cette idée de feeling ou d’affection que se pose pour Hume le caractère défectueux de son analyse, car elle soulève la difficulté à penser le passage de l’atomisme des perceptions à une connexion sentie sans quelque chose comme l’activité d’un soi... Je cite ici la manière dont il résume le problème dans l’Appendix (par. 20) :

“So far I seem to be attended with sufficient evidence. But having thus loosen’d all our particular perceptions, when I proceed to explain the principle of connexion, which binds them together, and makes us attribute to them a real simplicity and identity; I am sensible, that my account is very defective, and that nothing but the seeming evidence of the precedent reasonings cou’d have induc’d me to receive it. If perceptions are distinct existences, they form a whole only by being connected together. But no connexions among distinct existences are ever discoverable by human understanding. We only feel a connexion or a determination of the thought, to pass from one object to another. It follows, therefore, that the thought alone finds personal identity, when reflecting on the train of past perceptions, that compose a mind, the ideas are felt to be connected together, and naturally introduce each other. However extraordinary the conclusion may seem, it need not surprise us. Most philosophers seem inclin’d to think, that personal identity arises from consciousness; and consciousness is nothing but a reflected thought or perception. The present philosophy, therefore, has so far a promising aspect. But all my hopes vanish, when I come to explain the principles, that unite our successive perceptions in our thought or consciousness. I cannot discover any theory, which gives me satisfaction on this head”.

L’indication du problème que rencontre Hume dans sa propre théorie est donc assez claire : la transition par laquelle Hume tente de décrire comment l’esprit, collection ordonnée de perceptions, devient sujet pour lequel ces perceptions sont liées les unes aux autres, et tend à se poser fictivement comme un moi, semble supposer quelque chose comme un soi dont le feeling, l’affection, unifie les existences absolument séparées et distinctes de nos perceptions. Comment passe-t-on d’une succession de perceptions atomiques à leur connexion sentie, et donc à quelque chose comme une durée continue, sans quelque chose comme un soi ?
Nous reviendrons plus loin sur les enjeux et interprétations que nous pouvons donner de ce problème. Il est temps à présent de voir comment il se manifeste dans notre extrait.