vendredi, avril 14, 2006

Difficulté et construction du texte

Difficulté du texte

Il s’agit donc ici de mettre en doute tout un ensemble d’opérations qu’on attribue d’ordinaire à l’entendement, au raisonnement. La difficulté de ces doutes provient du fait que dans de nombreux cas, nous sommes tellement familiers de certaines inférences, celles-ci nous paraissent si évidentes et si « naturelles », nous disposons de formalisations scientifiques de celles-ci tellement systématisées, que nous n’arrivons plus à ne pas croire que la source de ces inférences n’est pas la raison elle-même. Notre familiarité avec certaines inférences fait obstacle à l’appréhension de leur véritable source qui n’est pas l’entendement.


Il faut donc avant tout neutraliser cet obstacle, et montrer qu’il en va de nos inférences avec ce qui nous est familier exactement comme de nos inférences avec ce qui ne nous semble pas familier et nous surprend. Ce n’est pas là simplement une stratégie de persuasion du texte. Derrière le doute sceptique sur la rationalité de nos inférences causales et la levée de ce qui fait obstacle à la mise à bas de ce préjugé, il s’agit peut-être autant de révéler cet obstacle même comme la véritable source de nos inférences causales. L’obstacle qui dissimule la non-rationalité de l’évidence de nos inférences causales est peut-être simultanément la véritable source de ces mêmes inférences. Il sera ici nommé (« such is the influence of custom », l. 31) en anticipation de la section V.
C’est donc à la fois la levée et la mise en lumière de l’obstacle de l’habitude qui commande ici la compréhension de la structure du texte. Explicitons celle-ci :

Structure du texte

I. Position du problème et énoncé de la thèse polémique : notre entendement ne suffirait pas à produire des inférences causales si nous n’avions pas déjà acquis de l’expérience. (l. 1-12)


II. Qu’est-ce donc qui nous rend réticent à accepter cette thèse ? L’habitude. (l. 13-33) La construction de cette partie s’appuie sur une accumulation d’exemples et un parallélisme entre les deux paragraphes :

1. Nous sommes prêts à accorder la pertinence de cette thèse quand nous rencontrons des événements qui nous surprennent par leur caractère inhabituel ou leur manque d’analogie avec le cours ordinaire de notre expérience. Première série d’exemples :

  • Quelque chose d’inconnu : l’exemple du marbre.
  • Quelque chose sans analogie avec le cours ordinaire : l’exemple de la poudre.
  • Quelque chose de peu prédictible du fait de sa complexité : l’exemple de la nourriture adaptée à l’homme et non à tel ou tel autre animal.

2. Cette thèse nous paraît difficile à accepter dès lors que les exemples nous sont plus familiers (cf. le choc des boules de billard), ou que les événements nous paraissent conformes à nos attentes. Il faut alors un exercice de la pensée pour se défaire du préjugé de la rationalité de nos inférences : cet effort révèle le pouvoir de l’habitude, pouvoir indissociable de son auto-effacement. C’est proprement la difficulté du texte, faire apparaître ce qui s’efface d’autant plus qu’il agit sur nous.

III. Une dernière expérience de pensée sur un exemple très familier (le choc des boules de billard) doit finir de nous convaincre de la contingence de la relation inférée de cause et d’effet au regard de notre entendement.