vendredi, avril 14, 2006

L. 34-45 : la contingence des lois de la nature.


Pour ce dernier paragraphe, je serai beaucoup plus bref. Hume ici complète l’argument précédent. Il s’agit en effet de montrer que ce qui nous paraît être connu de façon rationnelle, comme le mouvement des boules de billard, ne l’est pas, pour indiquer plus généralement que les dites « lois de la nature » et « opérations des corps » (l. 34), c’est-à-dire les bases de la physique moderne, du modèle de toute science rigoureuse de la nature, que ces « lois » sont en fait radicalement contingentes. Quelle expérience de pensée Hume nous invite-t-il à faire ? Tout simplement la suivante : montrer que nous pouvons parfaitement concevoir d’autres effets possibles du choc d’une boule de billard contre une autre que ceux que nous observons habituellement, et que parce que nous pouvons concevoir n’importe quel autre mouvement de la seconde boule, voire – pourquoi pas ? – sa complète disparition, le rapport de ce que nous interprétons comme cause à ce que nous interprétons comme effet, est dans ce cas parmi les plus familiers, parfaitement contingent.
Il faut bien comprendre ce qu’est la thèse de Hume ici : il ne s’agit pas simplement de dire que nous pouvons imaginer par exemple qu’en lâchant un morceau de métal, au lieu de tomber il s’envole parce qu’un coup de vent l’aurait tout à coup soulevé. En un sens, il s’agirait là d’une simple nouvelle explication causale. Il ne s’agit pas non plus pour Hume, comme par exemple pour Popper
[1], de dire qu’un phénomène qu’on n’a jamais observé jusqu’à ce jour trouve en fait une explication dans le cadre d’une théorie scientifique plus extensive, plus explicative et plus « falsifiable ». Il s’agit radicalement de dire que les lois de la nature sont contingentes, ou encore qu’il est impossible de fonder la thèse selon laquelle la nature est un ensemble de lois, ce qui, dit autrement, signifie : au point de vue spéculatif, il est nécessairement contingent, il n’y a pas de raison, que la nature soit un ensemble de lois.

[1] Sur toutes ces dernières questions, on pourra se reporter utilement au récent essai de Quentin Meillassoux, intitulé Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Seuil 2006, bien sûr encore à Popper, Logique de la découverte scientifique, chez Payot, et enfin à l’essai de M. Malherbe donné en bibliographie : Qu’est-ce que la causalité ? Hume et Kant, Vrin 1994.